La Régie municipale d’électricité de La Bresse au centre d’une stratégie de détournement de l’intérêt public au profit d’intérêts privés. “Plus belle la Régie” (épisode 2)

1 - La Régie

J'évoquais à la fin de mon précédent article sur la Régie, une modification de taille dans sa gestion. Elle est intervenue début 2017. Cette modification s'est faite en catimini sans qu'aucune information ne soit communiquée au Conseil municipal, ni a fortiori à la population.
La Régie, qui jusqu'à présent vendait sa production directement aux usagers bressauds et achetait chaque jour à des fournisseurs (EDF, Electricité de Strasbourg) le différentiel entre production et consommation locale, revend désormais toute sa production à un agrégateur suisse, qui a une obligation d'achat.

La mise en œuvre de cet accord a pour contrepartie l'obligation faite à la Régie d'acheter la totalité de la consommation de ses clients à ses fournisseurs extérieurs sur la base d'une prévision annuelle au tarif négocié. En cas de dépassement de cette prévision de consommation le surplus est facturé à la Régie sur la base des prix du marché spot de l'électricité (marché au comptant). Ces tarifs étant notoirement très élevés.

Cette modification fondamentale dans la gestion, vendre toute la production et être dans l'obligation de racheter l'intégralité de l'électricité consommée par ses clients, enlève toute marge de manœuvre à la Régie. En effet, avant cette opération, elle pouvait gérer et écrêter les pics de consommation grâce à ses turbines. L'électricité, qui comme chacun sait, ne se stocke pas, doit être produite et immédiatement consommée. Les périodes de fortes consommations, particulièrement par grand froid, pouvaient avoir pour conséquence un dépassement des plafonds fixés contractuellement avec les fournisseurs, ce qui pouvait générer des pénalités importantes à payer par la Régie. C'est ainsi que la possibilité d'augmenter la production locale, d’écrêter à ces périodes permettait d'éviter ces surcoûts.
C'est d'ailleurs dans cet objectif que la turbine de la Lande a fait l'objet d'un investissement important au moment de son achat. En effet c'est un matériel de pointe capable de produire beaucoup sur des périodes limitées et destiné justement à écrêter les pics de consommation.
La nouvelle configuration enlève toute visibilité et retire tout intérêt à une gestion efficace des turbines. En effet que l'on produise ou non de l'électricité à cette période n'a plus le même intérêt que précédemment, Le kilowatt produit pour écrêter une forte demande se valorisait au prix qu'aurait dû coûter le dépassement. Le système actuel de prévision annuelle ne laisse plus aucune marge de manœuvre à la Régie désormais privée de ses moyens d'action prisonnière des aléas climatiques.

Cette situation nouvelle présente un grand avantage pour l'actuel Président du Conseil d'administration de la Régie, elle lui permet notamment de justifier que l'on réserve en hiver l'eau du barrage de la Lande à la fabrication industrielle de neige artificielle.

Jérôme Mathieu, pour ne pas le citer, l'a d'ailleurs exprimé publiquement en déclarant que l'eau de ce barrage devait être utilisée en priorité pour la fabrication de neige artificielle, en second pour l'eau potable et enfin, pour la production électrique. Je serais tenté d'ajouter, s'il en reste!!!
Même le Maire a dû à l'époque recadrer son adjoint en remettant les priorités dans le bon ordre, sans toutefois rappeler que cette retenue a d'abord été réalisée pour augmenter significativement la production d'électricité de la Régie municipale. Il est probable que le Maire se soit souvenu ou qu'on lui ait rappelé que la commune avait fini par gagner en justice contre les associations qui avaient déposé des recours à l'époque contre la construction du barrage au motif que l'objet de la retenue était la production d'électricité et que la Régie pouvait être assimilée à EDF en tant que service public. Une déclaration publique du Président du Conseil d'Administration de la Régie modifiant substantiellement la destination première de cet ouvrage aurait pu ouvrir un boulevard à de nouveaux recours en justice.
Qui a dit ; tourner sept fois sa langue dans sa bouche…. Monsieur Mathieu ?

Il n'en demeure pas moins que les déclarations du Maire ne correspondent pas à la réalité qui fait aujourd'hui du barrage de la Lande le domaine réservé de Labellemontagne pour la production industrielle de neige artificielle. L'autorisation de prélèvement a été porté à 800 000m3 par saison ! Le barrage, à son niveau maximum a une capacité de 700 000m3.

Ce nouveau fonctionnement constitue une première étape dans la disparition programmée de la Régie. Privée de tout intérêt à agir et à décider du niveau optimum de sa production, elle devient, comme un bouchon ballotté au rythme des vagues, la marionnette des éléments. Il n'est pas exclu que l'on nous explique qu'elle pourra à terme être confiée à un opérateur externe qui de par sa taille, pourra négocier de meilleurs prix d'achat de l'électricité. Et le tour est joué.

Afin de compléter ce tableau, nous nous intéresserons, dans le prochain épisode de ce feuilleton, aux performances financières de la Régie, et nous pourrons constater qu'elles sont, sous la gestion de Jérôme Mathieu, en chute libre.

Sommes-nous en train d'assister à la Régie à un scénario similaire à celui qui s'est déroulé à l'EHPAD de la Clairie, qui s'est conclu, je le rappelle, par l'obligation pour la municipalité d'éponger un déficit abyssal. Les finances de la ville et en dernier ressort les contribuables pourraient-ils le supporter… (la suite au prochain épisode...)

2 - Labellemontagne

Intéressons-nous maintenant à un acteur central de ce dossier : la société « Labellemontagne » grand consommateur d'eau et d'électricité, toutes deux au centre de l'activité de la Régie.

Depuis la saison d'hiver 2016-2017, autorisation a été donnée par la Municipalité à « Labellemontagne » de doubler la capacité de prélèvement en eau pour fabriquer de la neige. De 500m3/heure à 1000m3/heure. La puissance des pompes a été augmentée en proportion ainsi que la consommation d'électricité. Cette eau est puisée dans le barrage de La Lande et ne produit aucune contrepartie financière pour la commune.

Dans le même temps, Labellemontagne a renégocié l'abonnement et les prix de l'électricité à la baisse avec la Régie qui l'a accepté :

Davantage d'eau gratuite pour les canons à neige = moins d'électricité produite + diminution du coût de l'électricité. Labellemontagne gagne sur tous les tableaux, et il n'est pas excessif d'affirmer que le contribuable bressaud subventionne abondamment Labellemontagne !

Dans ces conditions on ne voit pas pourquoi la commune ne reprendrait pas en régie l'exploitation de la station ?

3 - La Municipalité

3/1 Sécheresse

En période de pénurie d'eau, ce qui était encore le cas il y a 2 semaines la municipalité aurait dû anticiper la saison d'hiver. Il serait en effet inadmissible qu'en l'absence de nouvelles précipitations consistantes d'ici la période d'hiver, on continue d'alimenter les canons à neige des pistes de ski, en faisant passer les loisirs de quelques-uns devant l'intérêt général, en captant pour le profit de quelques privés une ressource commune qui doit d'abord satisfaire les besoins de tous.

C'est pourtant ce qui s'est passé ! (voir communiqué des associations ici)

On le voit la course en avant vers toujours plus d'équipements (360 canons à neige sur le seul domaine de La Bresse-Hohneck) mène inexorablement vers des conflits d'usage et des détournements de plus en plus flagrants des moyens et des ressources communs au bénéfice de quelques-uns. Tout cela pour des activités aussi essentielles pour l'humanité et le genre humain - dans un contexte de réchauffement climatique et d'effondrement de la biodiversité - que la fabrication industrielle de neige artificielle !

Alors que l'utilisation des canons à neige peut se concevoir comme un complément, notamment pour permettre un enneigement suffisant des parties les plus basses du domaine skiable, ils sont aujourd'hui utilisés,  même en l'absence de chutes de neige, pour couvrir la totalité des pistes.

3/2 Résumons la situation :

  • Labellemontagne est autorisée à doubler les prélèvements en eau qui passe de 500m3/heure à 1000m3/heure.
  • Cette eau prélevée dans le barrage de La Lande lui est cédée gratuitement. L'investissement et les coûts d'entretien de l'ouvrage sont entièrement assumés par la commune
  • Ce prélèvement massif risque fortement de rendre problématiques les prélèvements d'eau potable pour les usagers, car en faisant baisser le niveau de la retenue souvent bas en hiver, il contribue à augmenter la concentration de matières organiques solubles produites par la décomposition de la tourbe présente sous la masse d'eau et à engorger les systèmes de filtration, déjà très coûteux, mis en place.
  • Ce prélèvement intervient évidemment en soustraction des possibilités de production électrique des turbines situées en aval. Turbine de La Lande et turbine de la côte 750. Ces deux installations étant les plus productives et les plus rentables de la Régie.
  • Nous sommes de surcroît en période de très forte consommation d'électricité, donc au moment où la production d'énergie renouvelable est la plus utile à la planète et à la lutte contre le réchauffement climatique ! Mais cela n'a, semble-t-il, pas la moindre réalité pour cette municipalité !
  • Nous devons encore, last but not least, ajouter à cela la négociation à la baisse de l'abonnement et des tarifs de l’électricité au bénéfice de Labellemontagne. En effet, faisant suite à l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence la société Labellemontagne, pourtant déjà largement attributaire, on vient de le voir, de cadeaux en tout genre concédés par la municipalité, a voulu encore pousser plus loin son avantage, en exerçant une « amicale pression » sur la Régie pour qu'elle baisse ses tarifs, ce que cette dernière s'est, semble-t-il, empressée d'accepter…

3/3 Manque à gagner

Cela fait beaucoup et j'engage les personnes qui le souhaiteraient à évaluer le coût total du manque à gagner pour la Régie et la commune et par voie de conséquence, le montant du cadeau fait, à l'insu de leur plein gré, par les contribuables bressaud aux actionnaires privés de Labellemontagne. Les documents et les éléments permettant ce calcul sont disponibles à la Mairie et à la Régie. Ce sont des documents administratifs communicables à toute personne qui en fait la demande.

Ceux qui feront cette démarche seront sans nul doute étonnés du résultat, et concluront aisément avec moi qu'une reprise en régie de la Délégation de Service Public de la station par la commune, même dans une conjoncture économique et climatique en voie de dégradation lui serait bien plus profitable ainsi qu'aux contribuables, que la situation actuelle. En effet celle-ci se traduit par une mise en danger de l'approvisionnement en eau potable des habitants, un pillage du bien commun au bénéfice d’intérêts privés, une atteinte à la capacité de production électrique de la Régie municipale et une ponction significative des ressources financières de la commune.

3/4 Redevance

Je connais par avance les objections qui me seront faites, parmi celles-ci il est souvent fait référence au montant de la redevance que verse Labellemontagne chaque année à la commune, redevance calculée en partie sur le chiffre d'affaires réalisé. Les représentants de cette société font entendre régulièrement des plaintes déchirantes lorsqu'ils évoquent cette « captation » sur leurs profits.

Certains parmi leurs admirateurs extasiés s'offusquent même que la commune prélève autant, mais laissons les imbéciles regarder le doigt quand celui-ci montre la lune. Si on les écoute, la commune devrait mettre gratuitement à disposition la totalité des surfaces du domaine skiable, ou tout au plus percevoir pour cela une indemnité symbolique.

Il apparaît clairement que la stratégie mise en œuvre depuis quatre ans par les dirigeants de Labellemontagne, avec le concours de la municipalité, vise d'une part à s’exonérer de toutes les contraintes attachées à l'activité et d'autre part, à obtenir des facilités et des avantages par toutes sortes de moyens afin de récupérer le montant de cette redevance que la direction de cette société n'a jamais digérée.

On verra dans le prochain épisode quelles en sont les conséquences pour les finances communales.

3/5 Gestion privée, gestion publique.

Certains, toujours les mêmes, objecteront qu'une gestion privée est toujours plus efficace qu'une gestion publique. On se demande toujours sur quelles expériences ils s'appuient pour répandre de telles âneries.
Puisque nous évoquons le cas de Labellemontagne, je renvoie à une des stations qu'elle a gérée, celle de Pralognan la Vanoise dans les Alpes, où la municipalité a dû mettre fin à leur collaboration. Sans doute que Labellemontagne n'y avait pas obtenu tous les avantages dont elle bénéficie chez nous !!

Certains encore opposent le privé, qui investit et sait prendre des risques, au public, frileux qui ne sait pas innover. Ils oublient simplement de préciser que les risques pris par le privé sont toujours payés par le public, de même que les investissements bénéficiaires du public sont bien souvent cédés pour peu de chose au privé. Deux exemples emblématiques à l'appui de mes dires, le dernier grand crash bancaire de 2008 qui a vu l'état injecter des milliards d'€uros, et la vente à vil prix des sociétés d'autoroutes à Vinci, Eiffage et Abertis Compagnies dont les actionnaires engrangent chaque année plus d'un milliard de dividendes !!! Chaque jour apporte son lot d'illustration de ce principe, à grande ou à petite échelle, privatisation des profits, socialisation des pertes.

La réalité est souvent triviale et peut se résumer à quelques propositions simples. Il en est une que je livre à votre sagacité : la gestion privée sur le domaine public se nourrit toujours d'aides et d'avantages arrachés au bien public pour servir l'intérêt privé. Sans ces avantages prélevés sur l'intérêt collectif ces sociétés s'effondrent.
Cette proposition peut d'ailleurs être étendue à la plupart des activités industrielles et commerciales qui sans l'intervention, sous des formes variées, de la puissance publique, donc de la collectivité des citoyens, ne pourraient survivre.

Nous pourrions, en guise de conclusion temporaire, évoquer comment par le passé, suite à des saisons touristiques médiocres, les gestionnaires de stations, le dirigeant de Labellemontagne en tête, ont fait le siège du Préfet et des Collectivités, régions et départements, afin d'obtenir aides, subventions et avances de trésorerie qui pour certaines ne seront jamais remboursées.

Monsieur le Maire et Monsieur l'adjoint, il est temps d'annoncer la couleur et de faire part aux habitants de votre stratégie et de vos véritables intentions, concernant la Régie Municipale d'électricité.

Il est possible aussi, que vous n'ayez jamais eu la moindre réflexion stratégique. Je n'ai aucune peine à l'imaginer après vous avoir observé dans vos diverses actions ou plutôt inactions, au sujet de nombreux dossiers importants pour la commune, depuis que vous êtes élus. Ceux du Collége et de l'EHPAD, pour ne citer que les plus spectaculaires.

Dans cette très probable hypothèse, cela ne justifie pas toutefois que vous persistiez à multiplier les cadeaux et à céder aux injonctions et au chantage exercés par une société privée.

La Bresse le 18 décembre 2018
Gracchus

This entry was posted in Enquête, Environnement, La Bresse, Régie Municipale d'électricité. Bookmark the permalink.

Comments are closed.