Plus belle la Régie ! saison 1, épisode 1

Turbine de la Vertbruche (photo RME)

Nous vous proposons un feuilleton pour l’automne 2018. Le titre : « Plus belle la Régie ».

Il s’agit bien évidemment de la Régie municipale d’électricité de La Bresse (la RME), vieille et digne institution locale à laquelle sont attachés, à juste titre, les Bressauds.

Comme dans tout feuilleton, chaque épisode ou saison, si on veut faire moderne, apportera son lot de nouveautés et de rebondissements. Les héros de la série ne sont pas des inconnus, et vous les découvrirez sous un jour que vous ignoriez peut-être !

Plantons le décor.

La Régie municipale d’électricité de La Bresse que nous appellerons désormais RME fut créée en 1934. A cette date, il existe déjà à La Bresse des moyens de production électrique sous la forme de deux turbines, l’une au lac des Corbeaux, l’autre à la Vertbruche, et un réseau de distribution qui alimente la quasi totalité des habitations.

La production d’électricité de la Régie est locale et renouvelable. Elle utilise la puissance hydraulique fournie par les lacs et retenues d’eau situés sur le territoire de La Bresse.

La Régie ne produit qu’une partie des besoins de la commune, entre 20 et 25%, le solde étant acheté à des fournisseurs extérieurs, aujourd’hui EDF et Électricité de Strasbourg.

Depuis sa fondation, les municipalités successives n’ont cessé de défendre avec raison, l’indépendance de ce service public municipal de l’énergie.

Unique dans les Vosges, cette Régie municipale d’électricité est gérée par les élus locaux et a fonctionné jusqu’il y a peu dans l’intérêt de la commune et de ses administrés. Les excédents financiers dégagés par son exploitation sont utilisés en partie pour l’investissement et en partie reversés au budget communal.

Il s’agit par conséquent d’une activité industrielle et commerciale qui échappe au privé et dont l’activité bénéficie à la collectivité. On pourrait parler, comme pour un certain nombre de dispositifs de service public du même type, d’administration communiste, même si cette qualification en gêne quelques-uns, il n’en demeure pas moins qu’elle décrit pour partie la réalité et c’est d’ailleurs ce qui, nous le verrons plus tard, pousse certains à vouloir en modifier les statuts, adopter un mode de gestion fondé sur les valeurs du marché plutôt que celles de l’intérêt collectif et communautaire, pour à terme privatiser.

Le statut actuel de la Régie ne garantit pas à lui seul que les principes énoncés plus hauts soient en tous points satisfaits. La façon dont est géré ce service public communal y participe pour beaucoup. Cette question sera abordée en détails dans un prochain épisode de ce feuilleton communal, et l’on pourra constater que les actuels choix de gestion sont loin d’être innocents !

Le déroulement de notre feuilleton n’empruntera pas les chemins naturels du temps,  la chronologie ne sera pas respectée. Cela n’affectera en rien la compréhension du lecteur avisé ni l’intérêt qu’il pourra en retirer.

Puisque nous avons décidé de ne rien respecter, commençons tout de suite par la fin.

Comme chaque année, le Conseil Municipal examine les comptes de la commune et ses annexes.

Les comptes de la RME font partie des annexes et sont donc présentés et commentés par le Maire ou l’adjoint président de la RME.

La présentation des comptes 2017 de la RME au Conseil municipal du 26 mars 2018 s’ouvre sur le constat suivant : « La RME enregistre un résultat d’un montant de 503 022.25 € (,) inférieur à celui de l’année 2016. » C’est moi qui rajoute la virgule, sans laquelle on aurait pu penser que le résultat 2017 était inférieur de 503 022,25€ à celui de 2016 ! Ce qui n’est heureusement pas le cas, le résultat 2017, bien que positif, est seulement mais cependant inférieur à celui de l’année précédente.

Nous n’ignorons pas que la production, la distribution et la vente d’électricité sont des activités industrielles soumises à toutes sortes d’aléas qui peuvent influer dans un sens ou dans l’autre, sur le résultat annuel.

Mais il est normal, dans cette situation, que les élus apportent des explications et développent les raisons de cette baisse du résultat annuel. C’est donc ce qu’ils ont fait.

Attachez vos ceintures, car c’est là que l’énigme se noue, alors que dans le même temps se lève une partie du voile sur la personnalité des protagonistes !

Au Conseil municipal du 26 mars 2018, on nous explique que cette baisse du résultat est due à deux causes, tout d’abord : «à une pluviométrie 2017 pas très satisfaisante », puis «aux taxes spécifiques à l’industrie électrique, notamment la CSPE, qui fluctuent d’une année à l’autre et ont été supérieures à celles de 2016 », et ils ajoutent pour faire bonne mesure ou peut-être anticiper 2018

« et devraient encore augmenter en 2018 ».

De plus on entendra et on lira par la suite le Maire et son adjoint en charge de la RME mettre en cause les impayés !

Et voilà notre affaire réglée, braves gens. Puisqu’ils le disent et l’écrivent, cela doit être vrai. La pluie, sa raréfaction en l’occurrence, les taxes et leurs augmentations bien sûr, voilà deux bonnes raisons de rentrer chez soi l’esprit tranquille, de s’installer dans son canapé, boire une bière et passer à autre chose devant « Plus belle la vie » et autre ânerie télévisuelle, propre à rendre béat le premier clampin venu.

Sauf que, une petite recherche pas très pointue sur Internet et voilà qu’en quelques minutes nous pouvons retrouver la quantité de pluie tombée à La Bresse, la pluviométrie donc !

La comparaison de 2017 avec 2016 est effectivement à l’avantage de 2016 qui fut, rappelons-le, une année qualifiée de pluvieuse par les météorologues ; en revanche en 2015 et 2014, années qui furent loin d’être défavorables pour les comptes de la RME, la pluviométrie fut dans les deux cas inférieure à celle de 2017 ! Voilà les chiffres : en 2017 / 864 mm, en 2016 / 1010 mm, en 2015 / 708 mm, en 2014 / 782 mm.

Vous remarquerez toutefois que l’expression employée, « une pluviométrie 2017 pas très satisfaisante », laisse entrevoir un manque d’assurance dans l’argumentaire, voire l’expression d’un doute sur la pertinence de celui-ci…

Bon d’accord, la pluviométrie ne serait pas seule en cause, et c’est vrai que celle-ci est avancée timidement, du bout des lèvres, presque comme une excuse de n’avoir pas trouvé mieux. En revanche l’augmentation de la CSPE (Contribution au Service Public de l’Électricité), ça c’est du solide, de l’argent sonnant et trébuchant, ça parle directement au porte monnaie et de plus chacun connaît l’aversion des Français, les Bressauds n’y échappant pas, pour les taxes. Prononcer le mot et les bonnets rouges (fabriqués en Chine) ressortent en Bretagne, la Vendée se soulève et les comptoirs de bar se transforment en tribunes révolutionnaires !

Et le mot fut lâché, les taxes augmentaient encore…

Sauf que, qui paye les taxes et notamment la CSPE ? Serait-ce la RME ? Bien sûr que non ! C’est l’usager, chacun peut le constater sur sa facture, la RME se contentant de collecter la taxe pour la reverser au fond chargé de sa redistribution. Et à qui est reversée une partie de cette taxe ? Aux producteurs d’électricité, donc à la RME pardi, qui au lieu d’être affectée par son augmentation, fait au contraire partie des bénéficiaires de la CSPE perçue sur la part d’électricité produite par ses turbines !!!

Et nous voilà revenus à la case départ, nos bons messieurs ont bien tenté de nous fournir des explications, mais vous conviendrez avec moi qu’elles ne résistent pas à l’analyse, pour qui veut bien se donner la peine de l’exercer.

Depuis ce Conseil municipal, on a vu pointer ici et là, reprise tantôt par le Maire, tantôt par un élu, une troisième tentative d’explication. On en trouve la trace, à propos d’un sujet connexe, sous la plume du rédacteur de la tribune de la majorité dans le bulletin municipal de juillet 2018. Les impayés seraient responsables ! Et voilà notre homme, tout à sa laborieuse démonstration nous expliquer que depuis 2011 le cumul des impayés s’élève à 250 000€. Ce qui représente 36 000€ par an. C’est peu au regard du chiffre d’affaire de la RME, et c’est de plus sans doute1 inexact, car Messieurs les élus additionnent les chiffres bruts des impayés constatés en fin d’exercice, sans tenir compte des recouvrements intervenus dans l’intervalle.

Alors pourquoi cette baisse du résultat et surtout pourquoi ces explications fallacieuses et emberlificotées ? Nos héros tentent-t-ils de nous cacher quelque chose ?

Ah oui, je ne vous les ai pas encore présentés, mais vous les avez reconnus bien sûr. Il s’agit du Maire Hubert Arnould et de son adjoint Jérôme Mathieu.

Le Maire, parce qu’en temps que Maire il est l’autorité responsable des écrits et des actes de la municipalité, l’adjoint parce qu’il est le Président de la RME et qu’il décide et valide les orientations de celle-ci.

Les personnages principaux étant connus, il faudra aussi évoquer les autres, sans lesquels la série ne serait pas complète. On les trouve autour de la table, celle du Conseil Municipal. Adjoints et conseillers de la majorité et de l’opposition. Leur rôle n’est pas anecdotique, puisqu’ils doivent contrôler, questionner, discuter et valider ou pas, les décisions proposées à leur discernement.

Nous verrons dans les épisodes suivants ce qu’il en est de ce discernement, en même temps qu’apparaîtront de nouveaux personnages.

Revenons un instant sur les explications extravagantes et on l’a vu, totalement incongrues, soutenues par nos deux protagonistes. Elles font inévitablement pensé à cette expression : « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ».

Première leçon à tirer de cela, il est aisé pour des élus de justifier leurs actions et la gestion des deniers publics, puisque les explications les plus grotesques passent comme une lettre à la poste. Cela est d’autant plus aisé que personne, pas plus les adjoints que les élus de base, conseillers municipaux de la majorité ou de l’opposition,, dont c’est la mission et les citoyens dont ce devrait être le devoir, sauf quelques exceptions, ne prennent la peine de vérifier ni d’exercer un esprit un tant soi peu critique sur les justifications données. Serait-ce par peur d’ouvrir la boite de Pandore ? Faudrait-il, à La Bresse, afficher en permanence un semblant de consensus ? Craindrait-on de se singulariser par des critiques trop marquées ? Y-aurait-il un climat général de soumission sur fond de pusillanimité ? Je n’ai pas la réponse, mais ce que je sais c’est que lorsque les problèmes apparaissent, c’est toujours trop tard et les remèdes sont alors très douloureux. (voir le dossier de l’EHPAD et ses conséquences qui sont loin d’être épuisées)

Cette municipalité rentre dans sa quatrième année de mandat et son bilan n’est rien moins que désastreux. Nous aurons l’occasion d’en dresser le tableau prochainement. Quelques élus, pouvant être comptés sur les doigts d’une seule main, sont à la manœuvre, et, sans l’ombre d’un projet, dépourvus de toute réflexion sur l’avenir de la commune, prennent seuls les décisions, la plupart du temps imposées par le cours des choses ou suggérées par leurs amis politiques ou privés. Le reste de l’équipe majoritaire, conseillers et adjoints, pointant aux abonnés absents, ou quand ils leur arrivent de se manifester, s’illustrant par leur inanité, qualité libéralement partagée dans cette équipe.

On constate même depuis peu que des représentants de commerce réussissent à leur fourguer quelques produits inutiles mais onéreux pour le contribuable. L’absence totale d’idées et de réflexions, la nature ayant horreur du vide, laisse la porte ouverte au premier bonimenteur venu ayant flairé la bonne affaire. C’est ainsi que l’on entends parler de l’installation de caméras de vidéo surveillance, système extrêmement coûteux tout autant qu’inutile et de la mise en place d’un dispositif de délation communautaire appelé « voisins vigilants ». Nous reparlerons de ces délires sécuritaires de nos édiles le moment venu.

Revenons à la RME. Nous examinerons les choix opérés par le Conseil d’administration de la RME sous la direction de Jérôme Mathieu son président. Plusieurs de ces choix, au sujet desquels on s’épuise à trouver trace dans l’abondante et souvent superficielle communication municipale, ont déjà des conséquences délétères sur les comptes de la Régie et cela ne pourra que s’aggraver dans la période qui vient. Certains de ces choix touchent à la structure du fonctionnement de la Régie et affectent d’ores et déjà son autonomie de gestion. D’autres présentent un caractère outrageusement avantageux pour quelques clients etc… Nous mettrons à jour, dans les épisodes suivants, sur la base de documents techniques et financiers, les orientations à l’œuvre dans la gestion de la régie, et nous constaterons que nous nous dirigeons à terme vers une privatisation de celle-ci et par voie de conséquence, vers un naufrage des principes de services public, intérêt collectif, gestion économe et transparente toute entière au service du citoyen, égalité d’accès et continuité du service, au profit de grands groupes et de leurs actionnaires qui n’ont qu’une seule religion et un seul dieu, toujours plus de profit.

Ce processus est déjà bien engagé, et si les Bressauds veulent conserver leur régie municipale d’électricité et les avantages qu’elle leur procure, les temps sont aujourd’hui venus de l’exprimer avec force.

Le 20/09/2018

Gracchus

1 J’utilise cette expression car n’ayant pas accès au détail du grand journal de la comptabilité de la Régie tenu par la perception de Cornimont, je ne puis être affirmatif. Cependant l’analyses des comptes administratifs et notamment de la ligne “admission en non valeur” laisse penser que la réalité des impayés est au moins 4 fois inférieure au chiffre annoncé.

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