Vies de forêt , de Karine Miermont : éloge du sauvage, du silence et de la lenteur en Hautes Vosges

                A l’écart des foules assujetties à un tourisme industrialisé et à une débauche d’aménagements en tous genres, Karine Miermont, dans son quatrième ouvrage Vies de forêt, publié aux éditions de l’Atelier contemporain, nous invite à mettre nos pas dans les siens, afin de découvrir les milieux naturels qu’elle traverse depuis une trentaine d’années, à la lisière de la Lorraine et de l’Alsace.

A la faveur de trajets allers retours sans cesse recommencés, du monde intime de la maison vers l’extérieur, en partant du village où se niche la maison de famille, dont elle a fait un observatoire privilégié pour elle et les siens, Karine Miermont a marché, marche en profonde empathie avec la forêt et ses hôtes. De rencontre en rencontre : animaux, arbres, plantes, passage des saisons et temps qui passe…présences humaines, son livre déploie en dix chapitres le désir qui la pousse à raconter la vie de ceux qui habitent ces espaces encore sauvages.

«  Au début de ce livre il y a cette envie, ce désir de raconter la forêt que je connais depuis des années… »

« …regarder la forêt, cette forêt, partir de là, marcher, écouter, sentir ; l’endroit, la maison, les passages,les arbres, les herbes, les animaux… »

Karine Miermont nous guide avec lenteur, en silence au coeur de la forêt, endroits reculés, secrets, et à sa suite, au fil de la lecture, nous nous ouvrons à un monde approchant le sacré, la forêt cathédrale, le surnaturel lorsque les brumes, la pluie enveloppent les arbres d’une inquiétante magie.

« …une impression de temple avec colonnes et sculptures, un espace sacré, silencieux, recueilli. »

Du village, la marcheuse seule ou accompagnée, s’élève dans un effort consenti et heureux à travers bois, vers les Hauts et ses chaumes sommitales, empruntant sentes et chemins forestiers. Vies de forêt, c’est l’éloge du sauvage, de la nature dans sa plénitude, à l’opposé de ce que l’on vit depuis quelques décennies dans le Massif vosgien : sa transformation en terrain de jeux pour consommateurs avides de loisirs mécanisés et brutaux, un phénomène dont Karine Miermont est tout à fait consciente :

« On avait gagné. Pour le moment. Et c’est une toute petite victoire à côté des parkings aménagés ou sauvages que les pouvoirs publics laissent proliférer au nom d’une vision d’un tourisme accessible comme un supermarché, à côté aussi des aménagements faits récemment pas loin, du béton, du métal gris, du mobilier urbain allant jusques aux lampadaires, de la lumière la nuit, rien de beau, là aussi comme ailleurs c’est « l’exil de la beauté »comme l’écrit l’architecte Rudy Ricciotti. ».

De même que Karine Miermont, de chemins de traverse en chemins de traverse, nous convie à des balades plurielles en immersion dans la nature, fragments de vies abordés avec patience et respect, des personnages récurrents traversent l’oeuvre, trajectoires venant scander de leurs présences animales ou humaines le récit et la quête. Il s’agit là d’un quadrillage fascinant à la fois de l’espace et du temps. Le compagnon de vie Matthieu, la Michèle figure de prophétesse antique, délivrant des oracles «  La forêt c’est presque la mort, parce que ça fait reculer la vie…ça se rebouche inévitablement » . Michèle aimait écrire nous dit l’auteure, en plus de la ferme, du foin et de ses vaches. Elle savait regarder les prés, les saisons, l’hiver et « son silence miraculeux, une merveille inouïe, il faut le vivre pour bien le comprendre ». Ou bien forestiers, chasseurs et montagnards complices protecteurs de la forêt. Un cerf, un douze cors, «  Ton cerf comme l’appelle Matthieu, que je pourrais c’est vrai appeler, mon cerf, ou lui donner un nom… », présence tutélaire issue de la lignée de ces rois couronnés peuplant la forêt de son cri ancestral pendant la période du brame. Biches, chevreuils, renards et tous les hôtes qui hantent les lieux, dessinent un cercle magique autour de la narratrice et de sa maison, cercles concentriques esquissant comme une chorégraphie, aller retour, dedans dehors, bas et haut. Un mouvement pendulaire, de balancier qui traverse Vies de forêt de part en part.

« Avec le temps la maison est devenue mon mirador favori, un poste de guet certes trop confortable, en apparence trop facile, et pourtant qui en vaut la peine, si l’on se plie à quelques règles, silence, concentration, absence de lumière artificielle, regard aiguisé, mouvements peu nombreux et en retrait des fenêtres ».

La maison, épicentre du récit autant que la forêt apparaissent indissociables à nos yeux. L’une ne va pas sans l’autre. La place accordée à la maison chez Karine Miermont, pourrait rappeler le long monologue, dans « La Vie matérielle » de Marguerite Duras, où celle-ci évoque sa maison de Neauphle le Château, parle des femmes, de la maison des femmes, cherchant les lieux de l’identité féminine. On y parle aussi du silence après le départ des proches  « la sorte de silence qui suivait leur départ, je l’ai en mémoire, c’était comme entrer dans la mer ». Certes le propos n’est pas le même, néanmoins dans les deux cas les maisons sont des clefs de voûte et leur rôle central.

Pourquoi j’ai aimé le livre de Karine Miermont, puisque on l’aura deviné je l’ai beaucoup apprécié, parce qu’il est entré en résonances fortes, avec mes expériences de la forêt vosgienne, de la nature. La narratrice nous décrit avec une extrême sensibilité ses propres ressentis dans un style poétique,fervent, parfois critique afin de les mettre à notre portée, nous enseignant que nous sommes intimement reliés au monde vivant, comme les arbres, les rivières, tissés des mêmes flux complexes de matière, d’énergie, d’esprit.

Vies de forêt se veut être également un grand et beau moment de partage entre l’auteure et nous, celle-ci nous fait là un don précieux, alors sachons le recevoir, qui que nous soyons, compagnon de longue date des milieux naturels ou novice en la matière !

« Approcher ce qui nous fuit…Mais il y a là un besoin, une envie, une curiosité attisée, qui devient récompense lorsqu’on voit, lorsque l’on entend, l’on sent, lorsque l’on capture un instant l’image d’un animal, ou un son, une odeur, une trace, un indice, qui sinon nous échapperaient, si l’on n’était pas concentré, silencieux, replié, en retrait, caché, comme seul ».

Annie Aucante

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