Il y a des cumuls visibles, ceux qu’on inscrit sur un organigramme officiel, et des cumuls invisibles, ceux de l’influence, des réseaux, des connivences. Dans le Parc naturel régional des Ballons des Vosges, ces deux espèces cohabitent en parfaite harmonie sous la houlette de deux figures emblématiques : Jérôme Mathieu et Laurent Seguin.
L’un, agriculteur devenu professionnel du mandat ; l’autre, militant de la montagne reconverti en gestionnaire public. Ensemble, ils incarnent la capture d’un outil censé défendre la nature par une caste d’élus qui confond l’intérêt général avec le périmètre de son influence.
Jérôme Mathieu, le cumulard de plein champ
Nul besoin d’y revenir longuement : la liste de ses casquettes tient du poème administratif. Vice-président du Département, du PNRBV, du PETR Pays de Remiremont, président de la Chambre d’agriculture, de la régie municipale d’électricité de La Bresse, administrateur de Vosgelis, de Groupama et de la SAFER : bref, une écharpe pour chaque saison. (voir ici la liste complète ou presque de ses mandats)
Il prétend représenter « le terrain », mais son territoire est désormais celui des bureaux, des comités et des jetons de présence. L’agriculteur enraciné a laissé place au gestionnaire hors-sol, qui laboure les institutions plus que les prés.
Laurent Seguin, l’idéologue de la confusion
Son domaine n’est pas la ferme, mais le verbe. Ex président et vice Président de plusieurs collectivités et autres syndicats mixtes, désormais, entre autres mandats, Président du Conseil Départemental de Haute Saône et président du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, Laurent Seguin a importé dans le massif vosgien une vision paradoxale : celle d’une nature rentable. (Voir ici la liste de ses mandats)
Sous son règne, le mot « protection » s’efface derrière « attractivité », la « tranquillité » derrière « expérience de visite ». Il orchestre, à coups de « conférences de la Grande Crête » et de « Quiétude attitude », de véritables salons de la langue de bois, où les mots « concertation » et « communication » deviennent interchangeables, un théâtre d’ombres dont les textes sont écrits d’avance.
Deux visages, une même machine
Derrière ces deux hommes, c’est une même mécanique qui s’impose : le système du cumul. Non seulement en nombre, mais en durée et en pouvoir. On siège partout, on décide de tout, on s’écoute entre soi.
Cette continuité étouffe toute respiration démocratique. Les conseils et syndicats mixtes s’auto-cooptent, les associations environnementales sous perfusion de subventions deviennent des faire-valoir, les citoyens sont convoqués pour la photo finale. Le PNRBV, censé protéger la nature, est devenu l’office de tourisme des élus, distribuant les rôles comme les fauteuils.
Quand la démocratie devient décor
Sous ce régime feutré, la concertation se résume à un décor : tables rondes, schémas d’accueil, ateliers participatifs, réunions de façade. Le citoyen n’est plus acteur, mais figurant. Les décisions, elles, se prennent ailleurs : dans les cabinets, les syndicats mixtes, les chambres professionnelles.
Le cumul dans le temps y joue le rôle du ciment : on ne passe pas la main, on s’y accroche. On occupe, on verrouille, on recycle. Le pouvoir local devient un perpétuel huis clos, où l’élu se succède à lui-même.
La soumission ordinaire des bonnes volontés
Les effets de cette emprise dépassent les sphères institutionnelles. Combien d’acteurs associatifs, d’individus sincèrement engagés pour la nature, ont fini par plier sous cette atmosphère ?
Au départ, ils viennent avec des intentions nobles : protéger les paysages, défendre la biodiversité, faire entendre une voix citoyenne. Puis, peu à peu, ils se coulent dans le moule ambiant, celui où toute critique devient suspecte, où la contradiction est vécue comme une trahison. Ils apprennent à se taire, à ménager les susceptibilités, à signer sans contester. Certains deviennent, consciemment ou non, les alibis du Parc et de ses dirigeants, cautionnant par leur présence la politique même qu’ils étaient venus questionner.
Ainsi se fabrique la soumission : non par la contrainte, mais par la cooptation, par la douce pression du consensus obligatoire. L’esprit critique s’évapore, la docilité se déguise en partenariat.
L’écologie confisquée
De la via ferrata du Tanet aux programmes « éco-touristiques » du PNRBV, la nature est désormais un produit d’appel. L’écologie sert d’emballage à la promotion territoriale. Et lorsque les citoyens demandent des comptes, on leur oppose la communication, les logos, les PowerPoint, les études à 20 000 euros et les slogans creux : « Sauvagement responsable ».
Ce marketing de la vertu verte est le prolongement direct du cumul : un même réflexe de captation, un même refus du partage, un même mépris du fond.
Un système politique verrouillé
Dans les Vosges, comme ailleurs, le cumul n’est pas seulement une question d’éthique ; c’est un mode de gouvernement. Il concentre les moyens, verrouille les flux financiers, oriente les politiques publiques au profit d’un petit cercle.
Ce que Jérôme Mathieu pratique en mode bulldozer, Laurent Seguin le peaufine en mode séminaire. Le premier cumule les présidences, le second cumule les justifications. Les deux aboutissent au même résultat : l’impossibilité de toute alternance réelle, la neutralisation du débat, la domestication de la société civile.
Une démocratie sous anesthésie
Ce cumul généralisé, de mandats, de discours, de prérogatives, engendre une démocratie anesthésiée. Plus personne n’ose contester, de peur d’être exclu des circuits de financement. Le citoyen regarde passer le convoi institutionnel, impuissant.
Et pendant ce temps, la montagne se vide de ses espèces, ses forêts meurent de sécheresse, ses paysages se banalisent sous le tourisme industriel. Mais les élus, eux, s’en félicitent : « le massif attire ».
L’usure du pouvoir, la confiscation du sens
Le cumul, ce n’est pas seulement trop de mandats pour un seul homme. C’est un système d’accaparement du pouvoir, une lente privatisation du bien commun.
Il faut bien plus qu’une loi pour y mettre fin : il faut une révolution de la responsabilité, un sursaut citoyen qui refuse la comédie institutionnelle.
Tant que les mêmes tiendront les mêmes places, tant que le Parc servira de vitrine aux ambitions de quelques-uns, la nature vosgienne restera sous tutelle et la démocratie locale sous perfusion.
Le 24 octobre 2025
Dominique HUMBERT-BERETTI alias Gracchus




















